La clé du bonheur




Ils sont là, tous les deux, sur ce petit chemin ombragé de grands arbres serrés, bordé d’achillées, de campanules et de ronces.

Ils s’avancent, l’un vers l’autre sans savoir leur rencontre. Ignorant qu’ils se connaissent déjà, au regard de la grande roue qui rythme les destins entrelacés des humains, ils se prennent pour deux étrangers.
L’un est blond, l’autre est brun. L’un est homme qui côtoie le passé, l’autre est homme à venir, homme en devenir. L’un est heureux, l’autre ne sait pas encore qu’il l’est.
Que font-ils, là, loin des bruits de la grande cité ? Peut-être s’enivrent-ils, seulement, du silence uniquement percé par le cri des grillons, qui s’égrène, méthodique et lancinant, sur le carton du grand orgue de barbarie de la nature. Sans doute se cherchent-ils, sans le savoir…
Toute une vie les sépare, encore, sur ce petit chemin que, Le Vieil homme, déjà, sourit à L’enfant.
Il lui sourit comme il sourit à tout. Il lui sourit comme il sourit au soleil, aux étoiles, au vent qui passe, à la pluie. Il lui sourit comme il sourit à l’amour, au plaisir, au bonheur de ses frères humains, à la destinée.
Le vieil homme est heureux. Il a bien aimé la vie et sa vie lui a rendu son amour au centuple.
Le vieil homme est heureux. Il a su charmer la joie et la joie vole et tourbillonne, comme des myriades de papillons dorés, au creux de son ventre.
Le vieil homme est heureux. Il a su apprivoiser ses peines et ses peines dorment, silencieuses et domptées au fond de sa mémoire.
Le vieil homme est heureux. Il voit la fin de sa route et la fin de sa route est bordée de grands chênes sous lesquels il va aimer à se reposer.
Le vieil homme est heureux. Il sait qu’il va pouvoir offrir, à ce gamin qui, déjà, le reconnaît presque, la clé qu’il garde précieusement depuis plus de cinquante ans, la clé du bonheur.
Et l’enfant lui sourit. Ils se sont reconnus.
- Bonjour, dit Le vieil homme.
- Bonjour, répond l’enfant.
- J’ai un cadeau pour toi, dit Le vieil homme. Et, ce disant, il sort de sa poche la plus adorable petite boite sculptée que l’ont pu voir de mémoire d’homme, l’ouvre et la tend à l’enfant.
- Qu’est-ce que c’est ?dit l’enfant, émerveillé par le chatoiement de mille reflets irisés qui sortent de la petite boite.
-C’est la clé du bonheur, elle est pour toi, précise le vieil homme.
- La clé du bonheur ? C’est quoi le bonheur ? demande l’enfant.
- Le bonheur, réfléchit Le vieil homme, le bonheur, c’est le premier rire de ton premier enfant.
- Alors, je suis trop jeune pour ça, répond l’enfant déçu.
- C’est vrai, il est bien trop jeune pour ça, se dit le vieil homme. Et il cherche en son cœur les échos de sa jeunesse pour en offrir le souvenir à l’enfant.
- Le bonheur c’est aussi le baiser d’une maman sur le front enfiévré de son tout petit, dit le vieil homme.
- J’ai déjà ça, dit l’enfant ravi. Et l’amour de sa mère l’enveloppe tout entier, en un instant, comme pour lui donner raison.
Le vieil homme, heureux pour lui, reprend :
- Le bonheur c’est, aussi, être sûr que, quelque part, un grand amour t'attend. C’est savoir que tu vas pouvoir tout partager avec lui, savoir que sa force t’aidera à passer au travers des chagrins et des peines et te soutiendra dans les moments difficiles, sans rien attendre en retour que ton amour à toi.
- J’ai déjà ça, répond l’enfant. Et il pense à Fifi la petite chatte grise qui l’accueille en ronronnant tous les jours.
- Il a raison, je le vois dans son regard rêveur pense le vieil homme. Alors il médite un instant et, finalement, dit à l’enfant :
- Le bonheur c’est être capable de ne pas réfléchir un seul instant quand un ami est dans le besoin ou dans la douleur et de lui tendre ta main, ton cœur…et être sûr qu’il va les accepter, avec reconnaissance, pour que tu portes un peu de son fardeau.
- J’ai déjà ça aussi, répond l’enfant, un peu ennuyé, tout de même. Et le sourire de son ami Jeannot illumine ses yeux, comme le jour où il a donné à son camarade son sac de billes toutes neuves, lisses et brillantes, pour remplacer celles que celui-ci venait de perdre.
- C’est juste, il a ça, je le sens bien se dit Le vieil homme. Et il reprend :
- Le bonheur c’est de se lever le matin en étant heureux d’aller travailler. C’est être fier de la tâche que tu viens d’accomplir. C’est savoir que, grâce à ton travail, tu fais partie d’un tout et que tu participes au bien-être de plein de gens que tu ne connais même pas.
- J’ai déjà ça, aussi, dit l’enfant. Et il se souvient, heureux, de ce dessin qu’il a offert à la maîtresse, qui, ravie, lui a donné une image et a affiché son œuvre, au milieu de toutes celles qui décorent déjà son école et lui donnent cet air si gai.
Le vieil homme, alors, comprend, en un éclair, quel’enfant dit vrai. Il a déjà tout ce qui pour le vieil homme est le bonheur. Mais, il dit, tout de même, en lui tendant la petite boite :
- Tu as raison mon garçon, tu as tu as déjà toutes ces petites choses qui font le bonheur, mais prend quand même cette petite clé…Je n’en ai plus besoin, moi…Elle peut te servir, un jour…si tu perds ton bonheur.
L’enfant hésite un moment, tend la main, puis, la retirant, regarde le vieil homme en souriant de ses grands yeux et dit :
- Non merci, vous êtes gentil mais, non merci.
- Tu n’en veux pas ? dit le vieil homme, peiné.
- Non, répond l’enfant
- Mais, c’est le bonheur que je t’offre…et tu n’en veux pas ? dit le vieil homme.
- Non, merci, s’entête L’enfant et il rajoute en se tortillant un peu, vous comprenez…ce bonheur là est très beau, c’est vrai…mais, c’est le vôtre. Il ne sera jamais tout à fait à moi si je le prends. Moi, ce que je veux, c’est un bonheur bien à moi, un bonheur que j’aurais cherché et trouvé moi même…ce doit être beaucoup plus amusant de le découvrir tout seul, non ?
- Comme c’est juste ! pense le vieil homme. Et il dit à l’enfant :
- Tu as raison petit, je le garde, merci d’avoir partagé ce savoir avec moi.
Puis, il ferme la petite boite avec un sourire attendri et remet la petite clé dans sa poche, heureux, au fond, à la pensée qu’elle va l’accompagner tout au long du chemin qu’il lui reste à parcourir.

Ils sont là, tous les deux, sur ce petit chemin ombragé de grands arbres serrés, bordé d’achillées, de campanules et de ronces.

Ils marchent côte à côte, au milieu des senteurs lourdes de l’été qui fini déjà.
Le vieil homme tend sa main. L’enfant la prend. De temps à autre, tandis qu’ils s’éloignent, leurs rires retentissent sous la futaie. Le vieil homme, tout en racontant les fleurs aux oiseaux et les oiseaux à L'enfant, ralentit un peu sa foulée et l’enfant met ses pas dans les siens. Ils disparaissent, bientôt, au détour d’un bosquet, oublieux, tous deux, de ce monde trop pressé.

Magnifique Kiki.

Que c'est beau la poésie ....

Merci beaucoup.

Gros bisous

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